-1- Une des roues de bois rebondit sur une pierre, ce qui me sortit de cette longue somnolence. Le chariot finit par sâarrĂȘter. JâĂ©tais Ă Oloriel. Chauffeur Ă bientĂŽt, jeune demoiselle ! » Je saluais lâhomme en mâĂ©loignant de son attelage. EllĂ©bore Au revoir ! » AprĂšs quelques pas dans la ville des grands moulins, je finis par soupirer. Jâaurais aimĂ© me reposer plus longtemps, je nâai eu quâun jour pour me remettre de ce qui sâest passĂ© Ă Gorwel⊠Pour que mon anĂ©mie passe inaperçue, je mâĂ©tais habillĂ©e aussi coquettement que possible. Je devais faire bonne impression au client. NĂ©anmoins, en tant que dĂ©tective dĂ©butante, je me dois dâĂȘtre la premiĂšre Ă rĂ©pondre Ă lâannonce. En effet, mon pĂšre Ă©tait venu me prĂ©venir tĂŽt dans la matinĂ©e quâil avait vu sur le panneau dâaffichage une demande peu explicite, qui laissait malgrĂ© tout penser quâil Ă©tait question dâune disparition. Je passais ensuite devant un certain bĂątiment, en soupirant. Si seulement mon pĂšre ne mâavait pas prĂ©parĂ© de casse-croĂ»te, jâaurais eu un prĂ©texte en or pour y aller⊠Je traĂźnais ensuite les pieds, avant de me ressaisir. Bon, haut les cĆurs ! Je reprends enfin du service aujourdâhui ! Jâavançais au milieu de la foule. Nous Ă©tions dĂ©jĂ dans lâaprĂšs-midi, et le chef-lieu du comtĂ© grouillait de monde. Depuis quelques secondes, sans que je ne mâen rende compte, mon regard suivait une seule de ces personnes. Il fallait bien dire que ses longs cheveux rouges violacĂ©s, ses lĂšvres dâun bordeaux intense, et son style vestimentaire provoquant ne passaient pas inaperçu. Mais cette femme⊠! Je mâarrĂȘtais, stupĂ©faite de tomber sur elle. Je lâavais dĂ©jĂ vue. Que ce soit en vrai ou sur des avis de recherche. CâĂ©tait elle. CâĂ©tait elle qui avait infligĂ© ça Ă Eilwen. Elle qui sâen Ă©tait prise Ă LucĂ©ard. âŠAlaia⊠Jâavais gravĂ© le nom de chacun dâeux dans mon esprit. Et tout particuliĂšrement le sien. La jeune femme marchait dans la rue, lâair mauvais. Elle ne mâavait heureusement pas vu, bien quâil y avait fort Ă parier quâelle ne se souvienne pas de moi. Cependant, les espers Ă©taient rĂ©putĂ©s pour dĂ©montrer une intelligence hors du commun. La prudence Ă©tait de rigueur. Car oui, je comptais bien la prendre en filature, et câest ce que je fis. Elle continuait son chemin vers le sud-ouest, en empruntant des ruelles de moins en moins frĂ©quentĂ©es. Selon mon plan, on pouvait sortir des fortifications en poursuivant dans cette direction. Vu la faible affluence, cette porte sud-ouest de la ville devait ĂȘtre rarement traversĂ©e, et donc peu surveillĂ©e. Autrement dit, elle comptait quitter la ville discrĂštement, ce qui est prĂ©fĂ©rable dâailleurs quand on est recherchĂ© par la garde ducale. Jâaurais bien des questions Ă lui poser, mais je nâai ni lâenvie de lui parler, ni mĂȘme lâenvie de mâattirer des ennuis. Pour lâavoir vue Ă lâĆuvre, je savais dâavance que je ne faisais pas le poids. Câest peut-ĂȘtre une occasion en or, mais je ne dois pas prendre de risque. Si elle sâen prend Ă moi, je nâai pas la moindre chance. Enfant Oh, pardon mâdame ! » Mon attention se tourna vers ce garçon dâune dizaine dâannĂ©es qui chahutait avec ses amis jusquâĂ ce quâil ne heurte Alaia par mĂ©garde. Nous Ă©tions arrivĂ©es sur une petite place excentrĂ©e. Il nây avait que de petits commerces et des habitations serrĂ©es les unes contre les autres. Au bout du chemin se trouvait un moulin surplombant les fortifications locales. En dessous de celui-ci se trouvait la grande porte qui menait aux vastes Ă©tendues agricoles du comtĂ© dâOloriel. Alaia DĂ©gage, morveux ! » AssĂ©na t-elle dâun ton courroucĂ©. Les amis de lâenfant en question, ainsi que lui-mĂȘme, reculĂšrent, abasourdis par la violence du regard de la jeune femme. MĂšre Mais quâest-ce quây vous prend de parler comme ça Ă nos bambins, ma bonne dame ?! » Quelques mĂšres de famille discutaient Ă lâombre jusquâĂ ce quâune dâentre elles ne sâapproche du centre de la place. La dizaine de citoyens prĂ©sents se tournaient vers cet Ă©clat de voix. FrustrĂ©e, Alaia dĂ©tourna le regard, et reprit sa route. Les mains sur les hanches, la dame potelĂ©e qui venait dâintervenir la regardait faire. MĂšre Câest ça, partez donc ! » Pensant que nous venions dâĂ©viter un incident plus grave, je mâapprĂȘtais Ă souffler de soulagement, jusquâĂ ce que sous mes yeux, un vase apparut. Il fendit Ă travers lâair Ă toute vitesse en direction de la mĂšre. Le projectile Ă©clata contre son Ă©paule, et entraĂźna la femme au sol. Ce fut aussi soudain que violent. Enfant Maman ! » Les quelques badauds se rapprochĂšrent, sans comprendre ce qui avait pu se passer. La sbire de Musmak attendit quelques secondes avant de sâarrĂȘter, et se tourna vers lâattroupement, avant de rire Ă gorge dĂ©ployĂ©e. Alaia Câest pas de chance ! » Elle repartit aussitĂŽt. Homme Je vous ai vu ! » Un homme dâune cinquantaine dâannĂ©es la retint dâun cri. Homme Quâavez-vous fait ?! » De nouveau Ă lâarrĂȘt, Alaia haussa les Ă©paules. Plusieurs des habitants avaient vu le pot lĂ©viter avant dâĂȘtre projetĂ©. Ils avaient tout de suite associĂ© ce phĂ©nomĂšne Ă lâattitude Ă©trange de la jeune femme. Alaia Vous nâavez rien vu, alors barrez-vous ! » Pour une fugitive, elle se fait beaucoup trop remarquer. Homme Ne croyez pas vous en tirer Ă si bon compte. » Cet individu tout Ă fait banal sâavançait lentement. Une aura poreuse Ă©manait de lui. Je nâeus pas le rĂ©flexe de partir la premiĂšre pour prĂ©venir la garde. Je ne parvenais pas Ă quitter la scĂšne des yeux. Homme Je nâai pas le droit dâutiliser mon pouvoir en ville, mais je suis sĂ»r que les circonstances valent bien une exception. » Il prit ensuite une posture de combat. CâĂ©tait dâautant plus impressionnant considĂ©rant que le mage en question avait lâapparence dâun marchand en fin de carriĂšre. Le visage totalement dĂ©tendu, Alaia le fixait avec un mĂ©pris profond, puis sourit en coin. Alaia Tu mâas lâair bien sĂ»r de toi, vieux dĂ©chet. » Je mâapprochais, prĂȘte Ă intervenir Ă tout moment. Une partie de moi sâĂ©tait reposĂ©e sur cet homme, mais nâĂ©tait-ce pas imprudent ? Ce dernier fit un pas en avant, contre sa volontĂ©. Pris au dĂ©pourvu par les mouvements involontaires de son corps, il laissa son aura sâĂ©vanouir dans les airs. Homme Quâest-ce qui mâarrive⊠? » Il mit un genou au sol, sous le regard effrayĂ© des habitants. Puis le second, et il ne put que pallier son manque dâĂ©quilibre en apposant les deux mains devant lui. Il restait ainsi bloquĂ© dans cette position. Alaia Et maintenant, tu tâagenouilles devant moi. Si câest pas pathĂ©tique ! » DâexpĂ©rience, jâaurais dĂ» savoir quâen combat singulier, personne de normal ne faisait le poids contre elle. NĂ©anmoins, je ne mâĂ©tais toujours pas dĂ©cidĂ©e Ă agir. Mon corps semblait subir un traumatisme encore rĂ©cent qui lâaurait volontiers poussĂ© Ă fuir. Homme Ah⊠Aaaaaah !!! » Son bras commençait Ă pivoter sans quâil ne puisse rien y faire. Rapidement, il atteint sa limite. Alaia Ă©tait concentrĂ©e sur le chĂątiment quâelle lui infligeait. Ses yeux ne quittaient pas le bras du pauvre homme au sol. Homme P-par pitiĂ©, arrĂȘtez ! » La peur panique de ne plus ĂȘtre maĂźtre de ses mouvements avait embrumĂ© lâesprit de ce pauvre citoyen en quelques secondes seulement. Il implorait hĂątivement dans lâespoir que tout cela sâarrĂȘte aussitĂŽt. Alaia Oh non. Tu lâas bien mĂ©ritĂ©, espĂšce de crĂ©tin arrogant ! » Homme Aaaaaaaaahh !!!! » Ses cris Ă©taient douloureux pour tous ceux qui lâentendaient, et ceux qui nâen restaient pas pĂ©trifiĂ©s sâenfuirent aussitĂŽt. Les mĂšres et les enfants rentrĂšrent chez eux plutĂŽt que de quitter la place, par un bien triste rĂ©flexe. Ses hurlements nâameutĂšrent personne, et lâon ne pouvait manifestement pas se fier aux habitants terrorisĂ©s sur cette place. Ă ce rythme lĂ , on ne pouvait plus ĂȘtre sĂ»r que la garde rappliquerait. EllĂ©bore Haaah, pourquoi ça doit se passer comme ça ?! Crochenwaith Summon !! » Mettant fin Ă ce dilemme qui me tiraillait, je levais la main devant moi, et fis apparaĂźtre un simple bol que je lui lançais aussitĂŽt, espĂ©rant pouvoir lui faire perdre son emprise psychique. La poterie se brisa Ă ses pieds. Et bien que ce jet fĂ»t un Ă©chec, il avait rĂ©ussi Ă attirer lâattention de ce danger public. Elle se tournait vers la fille Ă quelques mĂštres dâelle, et lui montra un regard assassin. Alaia Câest toi qui a fait ça ?! » Jâessayais de faire bonne figure, mais je savais trĂšs bien ce qui dĂ©coulerait de mes actions. EllĂ©bore Vous tous, FUYEZ ! » Je fus la premiĂšre Ă suivre mon conseil. Si elle se mettait en tĂȘte de sâoccuper de moi avant les autres, je pouvais gagner du temps en attendant dâĂ©ventuels renforts. Mon dernier pas ne toucha pas le sol. Alaia OĂč est-ce que tu vas ? Je te trouve bien peu courageuse pour une peste qui joue Ă lâhĂ©roĂŻne. » Lâhomme au sol nâavait toujours pas retrouvĂ© ses esprits, et levait pĂ©niblement la tĂȘte dans ma direction. JâĂ©tais paralysĂ©e. Pire que ça. Je pouvais faire des efforts, je pouvais forcer sur mes muscles, mais une autre conscience repoussait sans difficultĂ© toutes mes tentatives. JâĂ©tais non seulement immobile, mais jâĂ©tais surtout totalement impuissante. Et la simple sensation dâavoir son corps possĂ©dĂ© par lâesprit dâune autre Ă©tait fortement dĂ©sagrĂ©able. Je mâĂ©tais retrouvĂ© dans la situation que jâavais le plus redoutĂ©. En Ă©tant sous le contrĂŽle dâAlaia, jâavais perdu toute chance de pouvoir mâen sortir par moi-mĂȘme. JâĂ©tais totalement Ă sa merci, et si elle lâavait voulu, jâaurais pu dĂ©jĂ ĂȘtre morte. Ce simple constat Ă©tait suffisant pour terroriser nâimporte quel ĂȘtre humain. Ma vie entiĂšre Ă©tait en sursis aussi longtemps que jâĂ©tais sous son emprise. Alaia Jâai rarement la chance dâavoir des victimes aussi faibles mentalement que toi. Tu nâes pas capable dâopposer la moindre rĂ©sistance ! » De voir que celle qui sâĂ©tait interposĂ©e Ă©tait la plus insignifiante dâentre tous lâamusait, tout en lâĂ©nervant par la mĂȘme occasion. Elle levait sa main dont les ongles longs, couleur dâamarante, disparurent lentement dans sa poigne. Alaia Une sale mioche comme toi aurait dĂ» se tenir tranquille ! » Elle mordait son rouge Ă lĂšvres pour exprimer sa frustration. Plus par sadisme que par courtoisie, elle me permettait dâouvrir et de fermer la bouche. EllĂ©bore Allez-vous en ! Partez dâici avant quâelle ne sâen prenne Ă vous, et appelez la garde locale ! » Ce cri avait suffit pour les faire fuir, non pas sans hĂ©sitation. Je regardais mes derniĂšres chances dâĂȘtre secourue disparaĂźtre de ma vue. âŠCâĂ©tait la meilleure chose Ă faire⊠Mes jambes se soulevaient dans les airs. Alaia Un bol, hein⊠? » Elle me tournait face Ă elle, sans que je ne puisse lutter. Je pouvais voir sa grimace haineuse sâĂ©loigner de plus en plus. Alaia JâespĂšre que tu es prĂȘte Ă finir comme ton stupide bol !! » Je sentais mon corps se compresser de toute part, respirer devenait difficile. Je mâĂ©levais assez pour voir Ă travers les fenĂȘtres des Ă©tages, puis discerner certains toits. Je ne pus que par dĂ©sespoir faire naĂźtre une flamme au bout de mes doigts. Mais aucun des Ă©lĂ©ments que je maĂźtrisais pouvait me sortir dâun aussi mauvais pas. Je sentais le vent souffler entre mes cheveux. JâĂ©tais quelques mĂštres en apesanteur. Alaia Si tu survis à ça, tu te souviendras sĂ»rement oĂč est ta place, petite peste ! » Le mage encore au sol se relevait Ă peine. Il savait dâinstinct quâinterrompre Alaia serait fatal pour moi, et se contenta de rester spectateur. Je sens encore cette sensation⊠Câest la mĂȘme que le jour oĂč jâai Ă©veillĂ© ma magie⊠Je mâĂ©tonnais dâĂȘtre aussi lucide dans ma situation. Je nâarrivais pas Ă penser Ă ma mort, mais seulement Ă mes alternatives. Selon ce quâelle fait de moi, je vais y passer. Mais il doit bien y avoir un moyen de mâassurer quâelle rĂ©agisse comme je lâespĂšre, et pour ça⊠Je ne vois quâune solution. Je pris une grande inspiration. EllĂ©bore LĂąche-moi !!! » Hurlai-je en me dĂ©battant Ă lâaide des faibles mouvements quâelle me permettait. Son hilaritĂ© retentit jusquâĂ moi. Alaia Ah ! Jâadore quand vous dites ça ! Vous ĂȘtes tous des idiots, et je vais vous rendre service ! » A huit mĂštres du sol, je sentis mon corps se dĂ©tendre. Homme Nooon ! » Je souris en coin. Alaia Ton vĆu est exaucĂ© ! Montre nous ton plus bel atterrissage, maintenant ! » La satisfaction sur son visage retomba lentement. Jâatterris sur mes deux jambes assez violemment pour endommager la semelle de mes chaussures. Je me retrouvais accroupie, sous le regard bluffĂ© des deux personnes prĂ©sentes. Je me relevais lentement, le bas du corps engourdi par cette rĂ©ception douloureuse. Lâonde de choc qui me parcourut de la tĂȘte au pied me sonna quelques instants, mais quand mon regard croisa Ă nouveau le sien EllĂ©bore Pas mal, hein ? » DĂ©clarai-je, les genoux tremblants, le regard terrifiĂ©. Jâavais usĂ© de mon contrĂŽle de la gravitĂ© pour rĂ©duire un minimum lâaccĂ©lĂ©ration de ma chute, et jâavais renforcĂ© mes jambes pour quâelles ne se brisent pas Ă lâatterrissage. Jâavais certes mal, mais je mâen sortais totalement indemne. -2- Et jâusais de ces jambes renforcĂ©es pour mâenfuir en profitant de lâeffet de surprise. Nâayant aucune chance de quitter la place sans quâelle ne mâinterrompe, je fis un pari, et accourus dans la direction dâun petit magasin de spiritueux. Il Ă©tait malheureusement fermĂ©, mais une dizaine de fĂ»ts de bois Ă©taient empilĂ©s devant le petit trottoir, et dâun bond, je me cachais derriĂšre eux. Alaia Hein ?! Tu fais encore la maligne pour te carapater juste aprĂšs ?! Tu veux vraiment que jâte crĂšve, toi !! » Je pleurnichais en tenant mes pauvres pieds endoloris, assise derriĂšre les tonneaux. Alaia NâespĂšre pas tâen sortir, sale mioche ! » Un tonneau se soulevait au-dessus de ma tĂȘte. Ce qui Ă©tait plutĂŽt bon signe. Câest bien ce que je pensais. Elle ne peut pas prendre possession de mon corps si elle ne sait pas prĂ©cisĂ©ment oĂč je suis. Je mâimaginais dĂ©jĂ mâenfuir avec un fĂ»t sur la tĂȘte, mais câĂ©tait aussi embarrassant que vouĂ© Ă lâĂ©chec. Et puis, mes pieds dĂ©passeraient du fĂ»t quoi quâil arrive. AdossĂ©e derriĂšre les tonneaux restants, je ne pouvais plus voir celui qui venait dâĂȘtre soulevĂ©, mais je devinais quâelle allait le jeter dans le tas. Je captais le regard du blessĂ© en espĂ©rant quâil mâindique les intentions de mon adversaire. Il me faisait simplement signe de partir. Je lui rĂ©pondis par une moue. Câest vous qui devriez partir ! AprĂšs lui avoir fait signe de dĂ©guerpir Ă mon tour, je lui montrais un pouce levĂ© et un sourire forcĂ© en espĂ©rant que ça suffirait Ă le persuader. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce dâavoir vu lâair terrorisĂ© que cette derniĂšre expĂ©rience mâavait laissĂ© sur le visage, mais il ne partait pas. Il finit nĂ©anmoins par se tourner vers le projectile, câĂ©tait le signal que jâespĂ©rais. EllĂ©bore Enfuyez-vous, monsieur ! Maintenant ! Je vous en prie ! » DĂ©goĂ»tĂ© dâavoir Ă cĂ©der Ă ma requĂȘte, il fit sâembraser lâaura autour de lui, et fonça plus vite quâun humain nâen Ă©tait capable. Son renforcement affectait manifestement tout son corps simultanĂ©ment, mais il nâavait rien de particuliĂšrement impressionnant. Il partait loin dans la ruelle, tout en sachant quâil aurait pu profiter de la concentration dâAlaia pour tenter de la surprendre. Il avait aussi devinĂ© quâen cas dâĂ©chec, je nâaurais probablement pas pu le sauver. Nous ne connaissions certainement pas lâĂ©tendue des pouvoirs dâAlaia, et mes faibles connaissances en matiĂšre de psychique me portait prĂ©judice. De mon cĂŽtĂ© je mâĂ©loignais aussi vite que possible des fĂ»ts qui se soulevĂšrent les uns aprĂšs les autres. Hein ?! PlutĂŽt que de contrĂŽler chacun dâentre eux, elle les avait expĂ©diĂ©s dans tous les sens, Ă mon grand Ă©tonnement. NĂ©anmoins, je profitais de la confusion pour tenter de fuir Ă mon tour. Au bout de quelques pas, je dus reculer en plein Ă©lan pour Ă©viter lâune des barriques. Je bondis ensuite par-dessus une autre qui roulait au sol. Je pouvais remercier la magie pour mâavoir permise de lâenjamber. Alaia Allez, amuse-moi, guenon ! » Elle semblait prendre un malin plaisir Ă me faire mâagiter de la sorte. Je pouvais au moins me consoler en me disant quâelle avait totalement oubliĂ© lâautre homme. Alors que jâavais la prĂ©cieuse opportunitĂ© dâĂ©chapper Ă sa vue en disparaissant derriĂšre la façade dâune maison, je rĂ©alisais le piĂšge quâelle me tendait. Le premier tonneau quâelle avait soulevĂ© explosa en heurtant le pan de mur Ă quelques centimĂštres de moi, libĂ©rant les litres dâalcool quâil contenait. Si jâavais fait un pas de plus, jâĂ©tais morte. Jâavais rĂ©alisĂ© que le faux-espoir quâelle me laissait Ă©tait un moyen de sâassurer de ma trajectoire. Jâavais certes pu mâarrĂȘter Ă temps, mais Ă prĂ©sent, je ne pouvais plus bouger. Je nâĂ©tais quâĂ deux pas dâĂȘtre dans son angle mort, mais mon corps ne poursuivait plus mes efforts. La cruautĂ© de son stratagĂšme me laissait sans voix. Alaia Toi et ton petit sourire satisfait de tout Ă lâheure, croyez-moi, vous allez regretter de vous ĂȘtre montrĂ©s ! » Dans lâinstant dâaprĂšs, jâĂ©tais comme entraĂźnĂ©e par mon propre corps vers le centre de la place, oĂč je mâĂ©crasai de tout mon long. Une chute Ă cette vitesse sâavĂ©rait douloureux, mĂȘme si les pavĂ©s sâĂ©taient lentement fait avaler par la poussiĂšre et la terre. Elle mâavait ramenĂ©e au cĆur de cet espace dĂ©gagĂ©, je nâĂ©tais quâĂ quelques mĂštres dâelle, et je nâavais dĂ©jĂ plus aucune chance de lui Ă©chapper. Deux fĂ»ts se levĂšrent de nouveau. JâĂ©tais encore sur mes coudes, et nâeus pas le temps de me trouver des idĂ©es claires. Ă la force augmentĂ©e de mes jambes, je bondis en espĂ©rant Ă©viter le premier tonneau, qui faucha malgrĂ© tout mes mollets. Je retombai au sol, avec de nouvelles blessures. DĂ©jĂ tentĂ©e de jeter lâĂ©ponge, mon corps ralentit. Je ne peux rien faire contre cette femme⊠Je nâai pas la moindre habilitĂ© pour le combat⊠Pas la moindre adresse⊠Pas le moindre talent. Lâautre tonneau se levait plus haut dans le ciel, espĂ©rant bĂ©nĂ©ficier de plus dâĂ©nergie cinĂ©tique que le prĂ©cĂ©dent. Ă la maigre force de mes bras, je me hissais une fois de plus, pour poser un pied au sol. Mais je ne suis pas⊠Je ne suis pas une bonne Ă rien⊠! Alaia VoilĂ pour toi ! » Dans ce cri dâeffort, elle fit plonger la barrique vers sa cible. Je fis apparaĂźtre un bouclier dâĂ©nergie au bout de ma main, qui nâeut que la prĂ©tention de dĂ©vier Ă peine le projectile, pour me permettre de rendre possible mon esquive. La force du coup mâavait bousculĂ©e, mais jâĂ©tais toujours debout. JâĂ©tais plus prĂšs de mon adversaire que dâune Ă©chappatoire. La marche Ă suivre Ă©tait limpide. EllĂ©bore Crochenwaith Summon ! » Un bol en cĂ©ramique dĂ©corĂ© de formes pointues apparut dans ma main. Il y avait mĂȘme un visage dâhĂ©risson sur lâavant. Quâil est mignon ! Je ne pus guĂšre lâadmirer plus dâune seconde, et le jetai sur Alaia avec tout ce que jâavais. Elle nâeut aucun mal Ă Ă©viter, mais je pouvais au moins me satisfaire dâavoir bien visĂ©. Alaia Tu tâfous sĂ©rieusement de moi ?! » Elle Ă©tait en rogne, et le bol hĂ©risson Ă©tait brisĂ©. Depuis le dĂ©but, je nâavais rien fait qui aurait pu susciter une telle rĂ©action chez elle. CâĂ©tait tout simplement la personne la plus colĂ©rique que je pouvais imaginer. Mon corps sâimmobilisa. Cette fois-ci, jâavais lâimpression quâune main gĂ©ante et invisible me pressait fermement. Alaia Sale ordure !! Sale peste !! » Hurla t-elle en me soulevant de quelques centimĂštres avant de mâĂ©craser au sol dâun coup sec, de me relever, et de me projeter encore une fois sur les pavĂ©s. Avant mĂȘme dâavoir pu rĂ©aliser, je mâenvolais contre une paroi de pierre Ă quelques mĂštres de lĂ oĂč jâĂ©tais, et retombai Ă terre, couverte de sang et dâhĂ©matomes. La douleur mâavait pĂ©trifiĂ©e. Ce sifflement sourd dans ma tĂȘte mâindiquait que je nâavais pas perdu conscience. Je me relevais pĂ©niblement. Sans ma magie de renforcement, jâĂ©tais vraiment cuite⊠Jâavais rĂ©ussi Ă durcir Ă peine mon corps pour quâil encaisse chaque impact au bon endroit. Sans lâadrĂ©naline du moment, jâen aurais Ă©tĂ© incapable, tout comme jâaurais Ă©tĂ© incapable de me tenir debout. Je relevais mon visage haletant vers cette fautrice de trouble. Alaia Ah, câest ça que je voulais voir ! De lâimpuissance et de la terreur ! La seule expression qui te convient vraiment ! » Elle soulevait deux fĂ»ts au-dessus dâelle. Alaia Tu peux appeler au secours si ça te chante ! Jâaurais largement le temps de mâoccuper de ton cas avant que qui que ce soit arrive ! » Comment peut-elle en ĂȘtre aussi sĂ»re⊠? Cela ne fait que quelques minutes, mais la garde aurait dĂ©jĂ dĂ» rappliquer, et ils arriveront sĂ»rement dâun instant Ă lâautre⊠Non⊠? Mon corps sâimmobilisa, mettant un terme Ă cette rĂ©flexion. Alaia Allez, Ă©vite ça ! » Hurla t-elle en pointant sa main vers moi. Non⊠! Homme Toi Ă©vite ça ! » La concentration de la jeune femme se brisa dĂšs quâelle entendit la voix derriĂšre elle. Le mage de tout Ă lâheure avait lancĂ© un tonneau de toutes ses forces, et celui-ci sâĂ©tait arrĂȘtĂ© juste sous le nez dâAlaia. Elle avait stoppĂ© le projectile en plein vol, in extremis. Quand elle le dĂ©cala sur sa droite, la jeune femme rĂ©vĂ©la une grimace chargĂ©e de haine et de dĂ©goĂ»t. Alaia Encore toi ?!! » Elle lui renvoya instantanĂ©ment la barrique et immobilisa lâhomme qui encaissa le choc de plein fouet. Alaia Toi⊠!! Toi !! Je te jure !! Tu vas morfler !! » Elle le soulevait de deux bons mĂštres avant de lâexpĂ©dier au sol, comme elle le faisait avec moi il y a de cela un instant. Elle Ă©tait cette fois-ci assez furieuse pour lĂ©viter malgrĂ© elle. Il opposait une certaine rĂ©sistance, et la force avec laquelle il sâĂ©crasait Ă©tait moindre. NĂ©anmoins, il ne survivrait pas plus dâune minute Ă ce rythme. Et moi, je dĂ©tournais le regard vers le chemin de fuite le plus proche, presque contre ma volontĂ©. Ce sera sĂ»rement ma seule chance de fuir⊠Je gĂąchais de prĂ©cieux instants Ă ne pas avancer. Si je mâĂ©vadais de cette place, jâĂ©tais libre. Si je partais, il nây aurait sĂ»rement quâune victime Ă dĂ©plorer. Si je mâentĂȘtais Ă rester, il y en aurait deux. Le calcul Ă©tait simple, mais le choix Ă©tait cornĂ©lien. Il aurait pourtant fallu que je me dĂ©barrasse de la peur qui mâaccablait pour reconnaĂźtre quâil nây avait jamais eu quâune seule dĂ©cision Ă prendre dans ce cas-lĂ . Et une fois que je mâen fus aperçue, je nâeus pas dâautre choix que de faire face, grimaçant de rĂ©ticence. -3- Alaia Alors, ça fait quoi dâĂȘtre le justicier du jour ?! Je vais tâĂ©craser jusquâĂ ce que tây prennes goĂ»t, vieille larve ! Et ensuite, tu pourras assister Ă la fin humiliante de la blondinette, et tu seras aux premiĂšres loges, crois-moi ! Parce quâelle mourra de tes mains crasseuses ! » Lâesper sâagitait de plus en plus, tout comme sa chevelure. Elle continuait de malmener le pauvre homme. Il Ă©tait dĂ©jĂ Ă bout. Homme Je nâen peux plus⊠ArrĂȘtez⊠» Supplia-t-il, faiblement. Alaia Câest pas toi qui dĂ©cide, pourriture ! » EllĂ©bore Ăa suffit ! » Son point faible Ă©tait Ă©vident. Plus elle puisait dans ses pouvoirs, plus cela lui demandait de la concentration. Elle nâavait pas pu voir la jeune fille qui fonçait vers elle, en faisant rouler un fĂ»t au bout de ses mains. EllĂ©bore Prends ça ! » Mâexclamai-je avant de trĂ©bucher. Alaia vit le tonneau rouler lentement jusquâĂ ses pieds, qui lĂ©vitaient Ă une dizaine de centimĂštres du sol. LâĂ©chec Ă©tait dâautant plus terrible quâil avait lĂ©gĂšrement dĂ©viĂ©. Alaia ⊠» Elle soupira, et laissa le mage retomber au sol, couvert de son sang. EllĂ©bore AĂŻe aĂŻe aĂŻe⊠» Cette vision Ă©tait assez pathĂ©tique pour lâavoir provisoirement calmĂ©e. Alaia Mais comment tâas fait pour survivre jusquâĂ aujourdâhui, toi⊠? » Sans bouger, elle inspecta de loin la demoiselle au sol, vaincue par sa propre maladresse. Alaia Câest peut-ĂȘtre dans lâintĂ©rĂȘt de tout le monde que je te tue. Mais dâabord, je vais briser les jambes de ce type. » Les cris affaiblis du citoyen ne portaient que jusquâĂ mes oreilles. Je sentais que son corps allait lui aussi cĂ©der. CâĂ©tait le moment. EllĂ©bore Je ne te laisserai pas faire. » Alaia sâinterrompit encore aprĂšs avoir entendu ce quâelle considĂ©rait comme un affront. Alaia Arrogante petite sotte, tu la ramĂšnes encore ?! Comme si tu savais faire plus que lancer des bols ! Et encore ! » Je levais la tĂȘte, ainsi que mon index au bout duquel brĂ»lait une petite flammĂšche. EllĂ©bore Je sais aussi faire ça ! » Mon adversaire avait, comme je lâespĂ©rais, lâesprit vif, et son premier rĂ©flexe fut de baisser les yeux aprĂšs mon annonce. DĂ©passant du bouchon du tonneau se trouvait un morceau de ma robe que jâavais prĂ©alablement dĂ©chirĂ©. Il avait dĂ©jĂ bien brĂ»lĂ©, et le feu se propageait jusque dans le contenant. Ă savoir des litres dâalcool. Alaia Tu- » Une explosion lâinterrompit, et elle disparut dans une trombe de flammes. Le nuage de fumĂ©e qui venait de sâĂ©lever dans le ciel suivait ce coup de tonnerre en pleine ville. Aussi peu animĂ© que fut ce quartier, la garde ne pouvait que rappliquer Ă prĂ©sent. Mes cheveux furent soufflĂ©s par la dĂ©tonation. Je restais bĂ©ate devant ma propre Ćuvre. Ne venais-je pas de tuer quelquâun ? Je ne sentais pas la moindre fiertĂ©, et ma derniĂšre rĂ©plique nâavait eu que lâutilitĂ© de la prĂ©venir. HĂ©las, je ne lui avais pas laissĂ© beaucoup de temps pour sâĂ©loigner, ce qui pouvait signifier le pire. Je ne discernais rien au milieu de la poussiĂšre, de la fumĂ©e, et des traĂźnĂ©es de flammes. Je dĂ©cidais de me tourner vers lâhomme au sol qui nâavait pas Ă©tĂ© touchĂ©, ni par la dĂ©flagration, ni par les dĂ©bris. EllĂ©bore Monsieur, vous pouvez vous lever ? » Il ne rĂ©pondait hĂ©las plus. Je mâapprochais plus prĂšs encore, en espĂ©rant dĂ©couvrir quâil nâĂ©tait quâinconscient, mais, Ă mon grand effroi, mon corps entier se figea. Celui qui venait de me sauver Ă©tait dans les pommes, et cette Ă©treinte terrifiante qui contenait mes mouvements annonçait le pire scĂ©nario possible. Alaia Toi⊠» Cette vocifĂ©ration provenait de la fumĂ©e qui se dissipait. DĂ©coiffĂ©e, les vĂȘtements en lambeaux, et quelques traces de brĂ»lures sur la peau, Alaia Ă©tait encore debout. Alaia Toi⊠! » Les derniĂšres flammes furent balayĂ©es par un mystĂ©rieux champ de force qui sâĂ©tendait tout autour de lâesper. Le vent se levait autour de nous. Ce nâĂ©tait pas une brise naturelle, mais lâincarnation du courroux de mon adversaire. Alaia Petite peste⊠! » Son regard sâilluminait dâun violet inquiĂ©tant. Ses cheveux dansaient autour de son visage dont la grimace Ă©tait plus prononcĂ©e que jamais. Alaia Crois-moi, tu vas le regretter amĂšrement ! » Quelque chose venait de lacĂ©rer les pavĂ©s au sol, comme une lame invisible, aiguisĂ©e Ă lâextrĂȘme. La coupure Ă travers la pierre Ă©tait nette comme si ça nâavait Ă©tĂ© que du beurre. Une autre de ces dĂ©chirures sembla agiter lâair autour de moi. Quelque chose de puissant Ă©tait en train de se libĂ©rer. Une force pressait sur mon corps avec tant de violence que jâen venais Ă penser que mes os allaient cĂ©der. Sa main se levait lentement dans ma direction. Elle tendait la paume face Ă moi, comme ce jour-lĂ . Je sentais quelque chose converger au plus profond de moi. ĂnormĂ©ment dâĂ©nergie. Elle allait lâutiliser contre moi, cette technique qui avait frappĂ© Eilwen. Le bout de ses doigts tremblaient. Elle semblait attendre le moment idĂ©al. EllĂ©bore Pas⊠Pas ça⊠» Alaia ⊠» Elle Ă©tait totalement focalisĂ©e sur moi, et dans lâinstant dâaprĂšs⊠EllĂ©bore Apparais, ĂŽ Taupe-Dragon des profondeurs ! » Une motte de terre se souleva sous les pieds de mon ennemie, Ă sa grande surprise. Elle sâenvola quelques mĂštres en arriĂšre, et dut retrouver ses esprits face Ă la menace imminente de la crĂ©ature fictive. Rien ne sortit de ce petit tas de terre. Je respirais pĂ©niblement, et me tenais la gorge. Jâavais Ă©vitĂ© la tragĂ©die de trĂšs peu. Alaia rĂ©alisa le tour de passe-passe dĂ©cevant que jâavais utilisĂ©, mais ne sâĂ©nerva pas davantage. Elle mit la main sur sa bouche et rĂ©alisa que du sang coulait de son nez. Alaia Je nây arrive toujours pas⊠» Elle essuyait dâun revers de manche lâĂ©pais liquide rouge. Alaia Tant pis pour ça⊠» Le vent retombait Ă mesure quâelle se calmait. Tout ce qui indiquait son Ă©tat de surpuissance sâĂ©vanouissait progressivement. -4- Mes genoux tremblaient. Je nâosais mĂȘme pas fuir. Pourtant, ce laps de temps mâaurait permis de sortir de son champ de vision. Mais lâhorreur que mâavait instillĂ©e cette Ă©niĂšme entrave psychique me laissait pĂ©trifiĂ©e. Je dĂ©collais ensuite de quelques centimĂštres. Alaia soupirait. Alaia Ne te fais pas dâillusion. Jâai dit que tu allais le regretter. Et crois-moi, je ne partirai pas avant que tu te maudisses dâavoir vu le jour. » Je sentis mes deux bras se tordre. Coudes et poignets dans des directions contraires. Puis ce fut mes genoux et mes chevilles. Le mouvement Ă©tait suffisamment long pour mâĂ©pouvanter avant mĂȘme quâil ne devienne douloureux. Sans forcer davantage, mes quatre membres Ă©taient poussĂ©s bien au-delĂ de leur souplesse. EllĂ©bore Ah⊠! » La souffrance terrible et diffuse de cette attaque me laissait sans voix. Elle Ă©touffait mes cris, et bloquait ma respiration. Non, non⊠Alors que je ne pouvais mĂȘme plus penser, mĂȘme plus rĂ©aliser que jâĂ©tais cette fois-ci dans une impasse, je sentais mes bras et mes jambes sâĂ©tendre. Sâils ne cĂ©daient pas Ă la torsion quâon leur infligeait, jâallais connaĂźtre la torture dâĂȘtre Ă©cartelĂ©e. Jâallais de toute façon faire lâexpĂ©rience dâune douleur que les vivants ne connaissaient pas. Jâavais tentĂ© lâimpossible pour venir en aide Ă ces gens, au mĂ©pris de ma propre vie. Si jâavais pu y penser, je me serais peut-ĂȘtre indignĂ©e dâavoir agi ainsi. Jâavais des proches moi aussi, que je ne pouvais protĂ©ger quâen Ă©tant vivante. Alaia Je briserai dâabord ton corps, pour que tu regrettes jusque dans ta chair de tâĂȘtre opposĂ©e Ă moi ! » Je nâĂ©tais pas Ă portĂ©e magique de pouvoir faire quoi que ce soit. Je luttais si faiblement que je nâĂ©tais mĂȘme pas capable de retarder lâinĂ©vitable. Ma volontĂ© de vivre sâamenuisait, et je nâavais plus la force de trouver une Ă©chappatoire. JâĂ©tais dans une impasse. Je ne pouvais que serrer les dents en redoutant de voir mon corps se dĂ©truire, sans jamais guĂ©rir de ces sĂ©vices. Je consacrais mes derniers efforts pour ne pas pleurer, ne lui laissant pas cette ultime satisfaction. Je ne savais pas quel supplice allait avoir raison de moi le premier. Pardonnez-moi⊠Alaia Et le coup de grĂące ! » Sur ce cri, elle prit une grande inspiration, puis⊠Alaia Heu ? » Lâair mauvais, elle fixa la main blanche sur son Ă©paule. Alaia C-câest quoi cette horreur ?! » Je retombais au sol, vaincue psychologiquement. Le regard presque vide, je me rendais Ă peine compte quâelle nâavait pas pu aller jusquâau bout. Je levais la tĂȘte faiblement en direction du cri. Une crĂ©ature, pareille Ă un humain, dont la peau Ă©tait blĂȘme, translucide mĂȘme, se tenait juste devant Alaia. Elle ne disait pas un mot, sa bouche nâĂ©tait quâune large entaille dans cette chair ectoplasmique. Il y en avait une dizaine autour dâelles, inexpressifs. Cette matiĂšre visqueuse suintait de chacun de leurs pores. Alaia D-des goules ?! » La tĂ©lĂ©kinĂ©siste se tournait vers le son que produisait des chaussures en cuir le long des pavĂ©s. Alaia Câest toi qui les as ramenĂ©s ?! » Des flammes brĂ»laient ardemment, brillantes comme lâamĂ©thyste. Elles dansaient avec passion le long des bras du dernier arrivĂ©. ??? Tu peux te lever ? » ⊠Cette voix ! La bienveillance dans ses mots mâavait rendu mes sens. Il se tenait Ă cĂŽtĂ© de moi. EllĂ©bore âŠS-semion⊠! » Lâessence pourpre de son pouvoir sâamenuisait tandis quâil attrapait la main que je lui tendais. Il me ramena debout contre lui, et fit face Ă la jeune femme. Semion Allez, câest fini EllĂ©bore. Tu es en sĂ©curitĂ©, maintenant. » Il posa dĂ©licatement une de ses mains sur ma tĂȘte. Ses flammes Ă©taient froides, mais ses paroles rĂ©chauffaient mon cĆur. Alaia LĂąchez-moi ! » Hurla t-elle, en produisant une nouvelle onde de choc psychique qui balaya quelques goules. Dâautres continuaient de se lever. Elles naissaient du nĂ©ant, se distinguant progressivement du sol oĂč elles apparaissaient. Alaia Câest rĂ©pugnant ! » Elle sâenvola hors de portĂ©e de ces crĂ©atures maudites. Semion Personne ne fera de mal Ă cette charmante demoiselle. Alors tu ferais mieux de te rendre ! » Lui assĂ©na Semion avec une classe que je ne lui connaissais pas. Alaia Oh non ! Mais tu vas subir un chĂątiment bien pire que celui que je lui avais prĂ©vu! » Semion Bonne chance pour ça. » La garde locale arriva de toute part, arcs et arbalĂštes en main. On entendait de grands cris de ralliement. Ils Ă©taient enfin lĂ . Garde Ne la laissez pas sâĂ©chapper, et vous aurez la prime les gars ! » Les hommes en armure rĂ©pondirent par un cri de guerre. Gardes Oooooh !! » Alaia cracha au sol de dĂ©goĂ»t. Alaia Nâallez pas croire que jâen resterai lĂ . Vous me reverrez, vous pouvez en ĂȘtre sĂ»rs ! » Enragea t-elle, avant de partir au loin, dĂ©viant les projectiles qui lui Ă©taient destinĂ©s. Officier de Garde Ne lui laissez aucun rĂ©pit ! On la suit jusquâau bout ! » Les badauds sâamoncelaient rapidement. Lâhomme inconscient reçut les premiers soins au plus tĂŽt. Semion observait autour de lui les choses rentrer dans lâordre. Il baissa ensuite les yeux. Jâavais le visage collĂ© contre son torse, et je sanglotais silencieusement sans pouvoir mâarrĂȘter. Semion Tu as dĂ» avoir une de ses peurs, ma grande⊠Mais ne tâen fais pas, câest fini. Tout va bien ? » Je hochais la tĂȘte un coup, sans dĂ©coller mon visage de son gilet. Il ne pouvait rien obtenir de plus de ma part, dans lâĂ©tat oĂč jâĂ©tais. Semion Il faut que nous pansions ces vilaines blessures tout de suite. Ensuite, je pourrais te payer une pĂątisserie si tu veux. Je connais une auberge dans le- » Je hochais la tĂȘte Ă de multiples reprises, avec plus de vivacitĂ© que la fois dâavant, ce qui le rassura. Semion Ma pauvre EllĂ©bore, jâaurais prĂ©fĂ©rĂ© te revoir dans de meilleures circonstances. » ⊠⊠⊠-5- LucĂ©ard EllĂ©bore Et voilĂ dâoĂč viennent toutes ces blessures ! Et encore, elles ont eu pratiquement deux semaines pour cicatriser. Je mâen sors pas mal, je trouve. » Toute pimpante, elle conclut le rĂ©cit de sa mĂ©saventure. Jâen restais coi. LucĂ©ard Alors, câest Ă cause dâAlaia⊠Câest parce que tu as voulu mâaider Ă trouver des informations sur elle que- » EllĂ©bore Temps mort, temps mort ! » Gesticulait-elle, pour mâempĂȘcher de me blĂąmer inutilement. Nous Ă©tions tous les deux dans la grande allĂ©e devant le palais de LucĂ©cie, chaudement habillĂ©s pour faire face au climat matinal de cet automne mourant. EllĂ©bore Tu nâes ni responsable, ni mĂȘme concernĂ© par ce qui est arrivĂ©. Et puis, je vais bien, maintenant. Nâen parlons plus ! » Je me rĂ©signais rapidement, comprenant que le ton de la discussion nâĂ©tait pas Ă la culpabilitĂ©. LucĂ©ard Dâaccord, dâaccord. » Je profitais dâun moment de silence pour digĂ©rer tout ce rĂ©cit. LucĂ©ard Quelle chance que Semion soit intervenu quand mĂȘme. Je nâaurais jamais pu imaginer quâun jour il affronterait un sbire de Musmak avec une armĂ©e de goules. » Câest le moins quâon puisse dire. LucĂ©ard Mais ça nâexplique pas pourquoi tu Ă©tais absente il y a une semaine. » EllĂ©bore Ah⊠Oui⊠Eh bien, aprĂšs cette tribulation, je suis restĂ©e quelques jours chez monsieur Heraldos. » Elle rit jaune. CâĂ©tait aussi une nouvelle surprenante. LucĂ©ard Ne me dis pas que tu es devenue sa disciple, toi aussi ? » EllĂ©bore Hm non, pas vraiment. Mais jâavais un peu besoin de sa sagesse, et lui de faire du mĂ©nage et du rangement dans sa maison. » Tu tâes faite exploitĂ©e pendant une semaine, en dâautres termes. AprĂšs cette dĂ©duction, je considĂ©rai un autre raisonnement. LucĂ©ard Vu que je reviens moi-mĂȘme dâun entraĂźnement avec le maĂźtre, ça signifie quâon aurait presque pu se croiser. » Elle sourit Ă cette remarque. LucĂ©ard Enfin, ton histoire est claire, mais ça nâexplique toujours pas ce que tu fais ici. Quâest-ce qui te pousse Ă partir Ă Port-VespĂšre avec nous ? » EllĂ©bore Ah, ça. Câest tout simple, lâenquĂȘte dont je te parlais mâa poussĂ©e Ă aller dans ce duchĂ©. Pas spĂ©cialement Ă Port-VespĂšre, cela dit. » LucĂ©ard Ton pĂšre te laisse vraiment aller Ă lâautre bout du royaume ? » Elle me fit la moue. Son pĂšre avait tentĂ© de ne pas montrer ses rĂ©ticences, mais tout comme elle, il Ă©tait inquiet Ă lâidĂ©e que sa prĂ©cieuse fille aille aussi loin. Elle nâĂ©tait jamais sortie de ce duchĂ©, et allait devoir en traverser plusieurs pour atteindre celui qui se trouvait Ă lâextrĂȘme Sud-Est de Deyrneille. EllĂ©bore Maintenant que jây pense, jâen ai le cĆur qui bat la chamade ! Ce qui mâattend lĂ -bas est sĂ»rement la plus grande aventure de ma vie ! La demoiselle sâembrasait Ă lâidĂ©e de tout ce quâelle pouvait dĂ©couvrir. Ce sentiment grisant semblait rĂ©chauffer tout son corps. EllĂ©bore Oh, mais dâailleurs. Pourquoi tu y vas, toi ? Et pourquoi LĂ©once tâaccompagne ? » LucĂ©ard Eh bien, je vais voir ma famille de Port-VespĂšre pour un mois. Câest souvent ce quâon fait en fin dâannĂ©e. Et LĂ©once mâaccompagne parce que câest officiellement mon garde du corps. » Elle hochait la tĂȘte, surprise. EllĂ©bore Woah, je dois dire que je ne mâattendais pas Ă une raison aussi banale⊠» Je me grattais la joue, en repensant Ă mon autre objectif. LucĂ©ard Câest lĂ la raison pour laquelle jây vais, mais le maĂźtre mâa aussi confiĂ© une quĂȘte Ă accomplir dans le cadre de mon entraĂźnement. » Jâaperçus ensuite mon pĂšre sortir du grand hall, Ă quelques dizaines de mĂštres. Nous allions une fois de plus nous dire au revoir. LucĂ©ard Bon, on aura le temps de se raconter tout ça en dĂ©tail pendant le trajet. MĂȘme si on y va en Cabalys, le trajet dure presque deux jours entiers. » Elle avait sans doute dĂ©jĂ eu lâautorisation de PĂšre de nous accompagner pour lâaller, mais lâentendre de ma bouche semblait la rĂ©jouir malgrĂ© tout. EllĂ©bore Quelle chance dâĂȘtre amie avec un prince ! EllĂ©bore Oh, jây pense, câest donc ça un Cabalys ? » SâĂ©tonna t-elle en indiquant le carrosse massif devant nous. Il Ă©tait recouvert de larges tissus aux couleurs violacĂ©es. Il fallait trois Ă quatre jours pour rejoindre Port-VespĂšre depuis LucĂ©cie. Enfin, dans un carrosse commun. Mais ce quâon appelait diligence cabalistique, ou Cabalys, Ă©tait bien plus rapide, et permettait de faire ce trajet en seulement deux jours. Une grande route avait Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©e pour exploiter tout le potentiel de ce vĂ©hicule qui pouvait parcourir plus de cent kilomĂštres en seulement deux heures. Un tel trajet Ă©tait Ă©videmment hors de prix, et ce parce quâil fallait aussi payer les services dâun mage spĂ©cialisĂ©. Car oui, le secret des Cabalys rĂ©sidait bien Ă©videmment dans son attelage. Il ne sâagissait pas dâĂ©quidĂ©s, mais de statues dâargiles Ă la forme chevaline. Une fois possĂ©dĂ©es par un esprit, ces montures prenaient vie, et pouvaient tracter un lourd chargement Ă une vitesse remarquable. On appelait ces crĂ©atures des gwips. Inutile de dire quâoutre son aspect sinistre, ce moyen de transport Ă©tait trĂšs mal vu. Plus de la moitiĂ© de la population se mĂ©fiait de la magie, a fortiori de la magie noire dont lâexistence nâenchantait pratiquement personne. Et bien entendu, un tel sortilĂšge devait se trouver dans cette catĂ©gorie. Ce moyen de transport Ă©tait un prĂ©texte de plus pour mĂ©dire sur les personnes aux pouvoirs, quâon accusait bien souvent de recourir Ă des forces dĂ©moniaques pour assouvir leurs desseins. En ce qui me concerne, je me fichais bien de ce quâon pouvait en penser. CâĂ©tait un gain de temps tel que je ne pouvais dĂ©jĂ plus mâen passer. Un hennissement macabre fit sursauter la jeune fille. Elle regardait les inquiĂ©tantes lanternes sâagiter tout autour du carrosse. EllĂ©bore contemplait de prĂšs, et avec une certaine fascination, les mystĂ©rieuses Cabalys. Puis monta Ă bord, et croisa le regard de LĂ©once. EllĂ©bore Bonjour ! Bien dormi ? » Elle avait beau sâĂȘtre levĂ©e tĂŽt pour venir jusquâau palais, elle semblait toujours moins bien rĂ©veillĂ©e que LĂ©once qui lui sâavĂ©rait ĂȘtre un matinal. LĂ©once TrĂšs bien, et vous ? » EllĂ©bore Nous sommes partis pour une longue route, alors tutoyons-nous, non ? » LĂ©once Câest bon pour moi. Content que tu proposes. » Mon pĂšre devait hĂ©las rester Ă LucĂ©cie, dont il avait la responsabilitĂ©, mais descendrait Ă son tour dans quelques semaines. Ce qui signifiait que nous Ă©tions au complet. -6- Quand le vĂ©hicule se mit en marche, la dĂ©tective sâĂ©tonna de ne pas entendre de sabots. EllĂ©bore Je ne pensais pas monter un jour dans une Cabalys. Dâailleurs, maintenant que jây pense, comment ça se fait quâon appelle ces crĂ©atures des gwips ? Ils mĂ©riteraient un nom un peu plus effrayant ! » LĂ©once abondait dans son sens. Je devais ĂȘtre le seul Ă penser que donner des noms effrayants nâĂ©tait que rarement une bonne idĂ©e. LucĂ©ard Câest une contraction. Il sâagit de goules hippiques, donc de gwips. » Maintenant que ceci Ă©tait dit, cela semblait tomber sous le sens. EllĂ©bore Aah, mais bien sĂ»r ! » LucĂ©ard En parlant de goules, comment ça se fait que Semion en invoquait ? » EllĂ©bore Je lui ai demandĂ© parce que ça mâĂ©tonnait aussi. Eh bien, il ne veut pas renoncer Ă la magie de la famille de sa femme, de ce quâil mâa dit. Et ce pour plusieurs raisons. Les goules funestes sont pareils Ă des morts vivants, mais ils ont leur propre corps et sont totalement dĂ©pourvus dâĂąme et dâidentitĂ©. Il trouvait ça plus Ă©thique que dâexploiter de pauvres dĂ©funts. » LĂ©once Je sais pas de quoi vous parlez, et je sais mĂȘme pas ce que câest que des goules funestes, mais la logique se tient. » LucĂ©ard On parle de goules funestes par opposition Ă dâautres crĂ©atures qui sont aussi considĂ©rĂ©es comme des goules. Mais seules celles dont nous parlons ont pour essence dâĂȘtre des zombies factices. Cela dit, jâespĂšre quâil ne sâen sert pas pour redynamiser la ville dâAbsenoldeb⊠» Je ris jaune. Au fond, sâil avait besoin de main dâĆuvre, il y avait fort Ă parier quâil ne sâen soit remis Ă ces monstres. EllĂ©bore Je crois quâelles sâalimentent de son Ă©nergie, et disparaissent aussitĂŽt quâil cesse dâen utiliser, donc il nây a pas lieu de sâinquiĂ©ter, nâest-ce-pas ? » LĂ©once Un peu, si. » Un soupçon de mĂ©lancolie se lisait dans les yeux de mon amie Ă chaque fois quâelle se souvenait de cette aprĂšs-midi Ă Oloriel. Je tentais de deviner la source de sa morositĂ©. LucĂ©ard Et cette affaire alors ? Tu peux nous en parler plus en dĂ©tail ? » En tant que prince, jâavais dâinnombrables moyens de faciliter son enquĂȘte, mĂȘme dans un duchĂ© Ă©loignĂ©. Mon aide pouvait lui faire gagner un temps prĂ©cieux. EllĂ©bore CâĂ©tait une femme originaire du sud qui a placardĂ© lâannonce Ă LucĂ©cie. » Le dĂ©but de sa phrase en disait long, et lâatmosphĂšre sâalourdit sensiblement. EllĂ©bore Elle venait de dĂ©mĂ©nager Ă Oloriel, et la disparition de quelquâun quâelle connaissait lâintriguait beaucoup. HĂ©las, quand je suis arrivĂ© chez elle, elle Ă©tait dĂ©jĂ morte⊠» LĂ©once et moi fĂ»mes malgrĂ© tout surpris de lâentendre prononcer ces mots. Pourtant, cela expliquait beaucoup de choses. LucĂ©ard Est-ce que par hasard, ça nâaurait pas un rapport avec la lenteur de lâintervention de la garde locale ? » Elle hochait la tĂȘte, Ă©tonnĂ©e de ma perspicacitĂ©. EllĂ©bore Câest ce que je me suis dit aussi. Je nâai pas de preuve Ă proprement parler, mais il y a eu du remue-mĂ©nage dans Oloriel ce jour-lĂ , et Alaia semblait penser quâelle avait du temps devant elle. » Cette affaire pourrait donc bel et bien avoir un rapport avec les Empereurs. EllĂ©bore Si je nâavais pas dĂ©couvert le corps, il aurait pu passer inaperçu un bon moment. Quand ils tâont attaquĂ© pendant que tu Ă©tais dans le coma, ils avaient procĂ©dĂ© de la mĂȘme façon. Câest surtout ça qui mâa mis la puce Ă lâoreille. » Je nâĂ©tais pas sĂ»r de saisir lâintĂ©rĂȘt de ce stratagĂšme, mais les propos dâAlaia quâelle mâavait rapportĂ©s semblaient indiquer Musmak et son groupe comme des suspects potentiels. EllĂ©bore Quand jâai prĂ©venu la garde que jâavais dĂ©couvert un corps, ils mâont tout de suite considĂ©rĂ©e comme coupable Ă cause de mes blessures. Heureusement, les gens du quartier oĂč jâai affrontĂ© Alaia ont tĂ©moignĂ© en ma faveur, et jâai mĂȘme pu faire quelques recherches sur le lieu du crime. » Tu en as vraiment bavĂ© ce jour-là ⊠EllĂ©bore Apparemment, le disparu en question Ă©tait quelquâun dâimportant pour elle. Je pense que câĂ©tait une admiratrice, plutĂŽt quâune amante. La personne quâelle recherchait Ă©tait une cĂ©lĂ©britĂ© locale, et elle ne connaissait que son surnom. Elle a laissĂ© pleins de notes oĂč elle compilait les raisons qui la poussait Ă penser quâil nâĂ©tait pas mort. » LucĂ©ard Et tu comptes poursuivre cette piste ? Je veux dire, quoi quâil arrive, ta cliente ne pourra pas savoir le fin mot de lâhistoire⊠» EllĂ©bore Je sais bien⊠Et je nâaurai aucune prime. Mais ce nâest plus vraiment la question. » Je croisais les bras, curieux de connaĂźtre ses motivations. EllĂ©bore Si elle a Ă©tĂ© assassinĂ©e par le groupe de Musmak, câest probablement Ă cause de ce quâelle savait. Si ça se trouve, mon intuition est fausse sur toute la ligne, mais si ce disparu peut nous mener Ă dĂ©couvrir quelque chose sur eux, ça peut changer la donne. Imaginez quâon puisse trouver oĂč ils se planquent grĂące à ça. » Je me tournais vers LĂ©once qui montrait un air amusĂ©. LĂ©once DĂ©solĂ©, mais on sait dĂ©jĂ oĂč ils se planquent. » EllĂ©bore fixait LĂ©once en silence, comme sâil venait de faire une blague. Mais aprĂšs avoir croisĂ© mon regard, elle finit par rĂ©aliser. EllĂ©bore V-vous nâĂȘtes pas sĂ©rieux ?! » Sa stupĂ©faction fut accueillie par des rires triomphaux. LucĂ©ard Il dit vrai. Enfin, jâespĂšre⊠» EllĂ©bore Mais alors, quâest-ce que tu attends LucĂ©ard ?? Vu les faits reprochĂ©s Ă ce groupe, il serait mĂȘme lĂ©gitime dâenvoyer tout de suite lâarmĂ©e royale ! Tu es sĂ»r de pouvoir en finir avec eux une bonne fois pour toute ! Sâils changent de base aprĂšs ça, il sera trop tard ! » LĂ©once hochait la tĂȘte en me dĂ©visageant. Nous avions dĂ©jĂ eu cette discussion tous les deux, mais la façon dont EllĂ©bore prĂ©sentait les choses remettait en doute ma logique. LucĂ©ard Je sais tout ça, crois-moi. Câest vrai que ça mâarrange de ne pas user de mon statut de prince pour les combattre, parce que je considĂšre ça comme une affaire personnelle. Mais jâai quand mĂȘme de bonnes raisons de penser quâil faille attendre avant de tenter quoi que ce soit. » AprĂšs cette concession, mes deux amis Ă©taient tout ouĂŻe. LucĂ©ard PremiĂšrement, je ne sais pas en qui je peux avoir confiance. Tout laisse penser que Musmak, et certainement les autres empereurs, ont des relations dans la noblesse. Comme tu le sais, cela expliquerait Ă©normĂ©ment de choses. Mais il nây a pas que ça. Je nâai pas envie dâimpliquer qui que ce soit dans cette affaire. MĂȘme les meilleurs mages de la Cour. Si on a pu obtenir la position de leur repaire, on peut aussi penser quâils ont assez confiance en leur capacitĂ© Ă exterminer les intrus. » LĂ©once Câest un risque, câest sĂ»r⊠Mais on parle de la crĂšme de la crĂšme. Les combattants au service du roi nâont aucune chance de se faire vaincre par des hors-la-loi, aussi rĂ©calcitrants soient-ils. » EllĂ©bore Je suis dâaccord avec LĂ©once. Si on sâadresse aux bonnes personnes, ils pourront facilement sâintroduire dans la base de Musmak et mettre tout son groupe hors dâĂ©tat de nuire. » Jâavais bien Ă©videmment dĂ©jĂ pensĂ© Ă tout ça, et je comprenais quâils trouvent mon raisonnement Ă©trange, nĂ©anmoins⊠LucĂ©ard Il y a encore autre chose⊠» Le silence se fit dans la Cabalys. LucĂ©ard Je suis persuadĂ© quâils sont impliquĂ©s dans lâassassinat de ma mĂšre. Je suis persuadĂ© quâelle Ă©tait au courant depuis bien longtemps de leurs agissements. Et jamais elle nâen a parlĂ© Ă qui que ce soit. Ce nâest quâune supposition, mais, si ma mĂšre avait une bonne raison de garder toute cette histoire pour elle, jâai peut-ĂȘtre intĂ©rĂȘt Ă en faire tout autant. » LĂ©once nâavait pas entendu cette explication lui non plus. Il faut dire que sur le coup, je nâavais pas su mettre de mots sur la raison qui mâavait poussĂ© Ă prendre cette dĂ©cision. EllĂ©bore Je vois⊠Ce nâest pas bĂȘte du tout⊠» Nous Ă©tions tous les trois pensifs. EllĂ©bore Peut-ĂȘtre quâil faudrait malgrĂ© tout agir au plus tĂŽt. Ils ont lâair de manigancer quelque chose depuis longtemps. Sâils nâont pas encore atteint leur objectif, rien ne dit que cela va sâĂ©terniser. » Si jâĂ©tais assez fort pour mây rendre moi-mĂȘme, la question ne se poserait pas⊠Mais je progresse si lentement⊠Et pendant tout ce temps oĂč je stagne, eux continuent leurs incessantes tueries. LĂ©once Câest quoi cette grimace ? DĂ©tends-toi un peu, LucĂ©ard ! » Affirma t-il, lui mĂȘme Ă moitiĂ© avachi sur son siĂšge, les mains derriĂšre la tĂȘte. LucĂ©ard Tu devrais peut-ĂȘtre te dĂ©tendre un peu moins, toi. » LĂ©once Je suis clairement moins au courant que vous deux, mais y a quand mĂȘme deux ou trois trucs qui me paraissent clairs. Voir ta famille, en apprendre davantage sur notre ennemi, et affĂ»ter tes compĂ©tences en allant je-ne-sais-oĂč, câest la meilleure marche Ă suivre. Ce nâest pas parce que câest urgent quâil faut se prĂ©cipiter. Tu nâas pas de raison de te mettre la rate au court-bouillon alors que tu es sur la bonne voie. » Je rĂȘve oĂč il vient de lire dans mes pensĂ©es ? Il croisa les jambes pour conclure son intervention. EllĂ©bore acquiesçait Ă©nergiquement de la tĂȘte. EllĂ©bore LĂ©once a rudement raison. Et puis, câest super excitant comme voyage ! Je nâai encore jamais vu la mer de ma vie ! » LĂ©once Il y a la mer lĂ -bas ?!!! » SâĂ©cria LĂ©once Ă notre grande surprise. De lourds regards moqueurs sâabattaient Ă prĂ©sent sur lui. LĂ©once Quâest-ce quây a ?! » Le voir sâĂ©nerver nous amusa davantage. LucĂ©ard Quel genre de port est Port-VespĂšre Ă ton avis, petit gĂ©nie ? » LĂ©once Oh, câest bon, jâavais pas fait le rapprochement, pas la peine de me prendre de haut ! » EllĂ©bore tentait de calmer le fils du jardinier, ne devinant pas quâil nâĂ©tait pas rĂ©ellement Ă©nervĂ©. Nâosant pas le railler plus que de mesure, de peur dâĂȘtre trop familiĂšre, elle dĂ©cida de changer de sujet. EllĂ©bore Cette route me rappellera toujours notre premier voyage en carrosse tous les deux, LucĂ©ard. » Ă tâentendre, on dirait presque que ce souvenir nâest pas source de traumatisme. LucĂ©ard Par tous les deux, tu veux dire Dirgel, toi, et moi⊠? » Soupirai-je. Ma remarque lâavait faite rire, mais une ambiance lĂ©gĂšrement glauque venait de sâinstaller. EllĂ©bore Haha⊠Oui⊠Ce Dirgel, je ne suis pas prĂšs de lâoublier non plus. Je nâai pas rencontrĂ© beaucoup de personnes plus terrifiantes que lui dans ma courte vie. » Je laissais tomber ma tĂȘte sur le cĂŽtĂ©, curieux. LucĂ©ard Tu veux dire que tu as rencontrĂ© plus terrifiant ? » Alors quâelle tentait dâaccĂ©der Ă sa mĂ©moire, elle se retrouva face Ă un cul-de-sac. EllĂ©bore Euh⊠» Voyant quâelle nâarrivait pas Ă faire ressurgir une certaine rĂ©miniscence, LĂ©once en profita pour rĂ©agir. LĂ©once Oh allez, vous faites pas prier, racontez-moi ! » LucĂ©ard Pour rĂ©sumer, un type extrĂȘmement patibulaire est rentrĂ© dans notre carrosse sans quâon sâen rende compte et nous a posĂ© des devinettes, avant de disparaĂźtre dans la nature, en nous laissant encerclĂ©s par des bandits de grand chemin. » LĂ©once Ah ouais, rien que ça. Jamais entendu une histoire pareille. » EllĂ©bore Encore faut-il avoir lâoccasion de la raconter. Si câest arrivĂ© Ă dâautres personnes, rien ne dit quâils sâen sont sortis aussi bien⊠» Je soupirai encore. Des dĂ©tails que je croyais oubliĂ©s venaient de me revenir en tĂȘte. LucĂ©ard Heureusement, on peut espĂ©rer quâun jour les voyages se feront par tĂ©lĂ©portation. » LĂ©once Câest possible ça ? » Je me frottais le menton. LucĂ©ard Il y a bien certaines personnes qui maĂźtrisent ce type de magie, donc pourquoi pas ? » EllĂ©bore riait discrĂštement, attirant notre attention. EllĂ©bore Ăa doit ĂȘtre pratique quand mĂȘme. Plus encore que beaucoup dâautres magies. On raconte que le hĂ©ros de la lĂ©gende lâutilisait Ă tort et Ă travers pour toutes sortes de choses. » LĂ©once souriait en coin. LĂ©once Oui, enfin, ceux qui ont se pouvoir ont souvent des dĂ©boires avec la Justice. Il faut dire quâils peuvent sâintroduire partout, et quâils ne peuvent ni ĂȘtre arrĂȘtĂ©s, ni incarcĂ©rĂ©s sans contre-magie. » LucĂ©ard Je remarque dâailleurs quâon entend beaucoup moins parler dâaffaires de ce genre depuis quelques annĂ©es. Quoi quâil en soit, ça dĂ©pend du type de magie employĂ©. Mais si les voyages par tĂ©lĂ©portation peuvent se faire, ce sera avec des portails, je pense. » EllĂ©bore Câest typiquement une magie hĂ©rĂ©ditaire, ça, non ? » LucĂ©ard Oui, et ça arrangerait pas mal de familles dâen faire tout un commerce. On pense quâen utilisant des fibres de Thornecelia, on pourrait installer des portails durablement dans certains relais. » EllĂ©bore Si ça marchait, on pourrait faire le tour du royaume en un clin dâĆil ! » LĂ©once Pas sĂ»r que ce soit une bonne chose, ceci dit. Les choses sont peut-ĂȘtre mieux ainsi, non ? Si ça existait vraiment, ça tuerait pas mal de professions, et des personnes mal intentionnĂ©es pourraient en profiter. » EllĂ©bore Tu marques un point. Surtout que ce nâest pas sans risque non plus de traverser des portails de tĂ©lĂ©portation, enfin, je pense⊠» LucĂ©ard Allez savoir. » LĂ©once Au moins, quand on est pauvre, on sait dâavance quâon ne pourra pas quitter le comtĂ©. Câest une premiĂšre pour moi, dâailleurs. » EllĂ©bore Ah, moi aussi ! Enfin, presque ! Mais sortir du duchĂ© de LucĂ©cie, câest une vraie premiĂšre ! » LĂ©once Hmm, en vĂ©ritĂ©, y a une fois oĂč jâĂ©tais techniquement plus dans le duché⊠» EllĂ©bore Câest quand mĂȘme un privilĂšge de pouvoir aller aussi loin ! » LĂ©once Oui, câest sĂ»r. Certains ne savent pas la chance quâils ont. » Mes deux compagnons de route me lançaient un regard profond. Pourquoi jâai lâimpression de passer pour le mĂ©chant dâun coup ? LucĂ©ard Vous allez passer votre premiĂšre nuit dans un relais alors ! » EllĂ©bore Oh oui, jâai hĂąte ! » LĂ©once JâespĂšre quâon fera quand mĂȘme dâautres petits arrĂȘts ! » EllĂ©bore Ah ! Rien que de penser que lâendroit oĂč on mangera ce midi est loin de tout ce que jâai dĂ©jĂ pu voir, câest grisant ! » LĂ©once Tu lâas dit ! JâespĂšre quâon pourra un peu se balader ! » EllĂ©bore Ce serait rudement bien ! » On dirait bien quâune nouvelle amitiĂ© vient de naĂźtre. JâĂ©tais plutĂŽt satisfait de voir que ces deux-lĂ sâentendaient bien. Et câest sur cette note positive que commença ce long voyage. Nous partions tous les trois vers le Sud pour une aventure que lâon pourra au moins qualifier dâinoubliable.
Vmj9usy. 30xrrsayfv.pages.dev/17430xrrsayfv.pages.dev/8030xrrsayfv.pages.dev/49030xrrsayfv.pages.dev/20930xrrsayfv.pages.dev/27730xrrsayfv.pages.dev/42630xrrsayfv.pages.dev/30630xrrsayfv.pages.dev/377
il faut que je m en aille paroles